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“A CROSSING INDUSTRY”, UN JEU VIDEO AU CROISEMENT DE LA RECHERCHE ET DE L’ART

A CROSSING INDUSTRY

 

L’univers du jeu

A Crossing Industry est un jeu vidéo qui plonge le joueur dans l’univers de la traversée des frontières du 21ème siècle par les migrants clandestins. Alternant les rôles (migrant, passeur, contrebandier, garde frontière), apprenant progressivement à survivre dans ce monde en perpétuelle recomposition, le joueur évolue dans une fiction où il est lui-même un des acteurs. Il est ainsi confronté à la complexité, à la dureté et au cynisme de l’industrie informelle du passage qui s’est développée depuis ces 20 dernières années autour des traversées des migrants sans papiers. A travers ce jeu vidéo, il découvre ainsi la face cachée des frontières, aux marges des pays les plus riches de la planète.

 

Fonctionnement et scénario

 

Disponible en ligne et gratuit, jouable sur ordinateur ou sur tablette, A Crossing Industry se veut accessible au plus grand nombre. Multi-joueurs, il permet à plusieurs centaines de personnes de jouer simultanément. Le scénario se construit au rythme de leurs interactions. En fonction des rôles qu’ils endossent, les joueurs sont motivés par des intérêts divergents et concurrents : si les migrants doivent survivre pour arriver au bout de leur parcours ; les passeurs cherchent à faciliter autant qu’à réguler leur passage afin d’assurer la prospérité de leurs activités et de maximiser leurs profits ; enfin, les gardes frontières doivent établir un contrôle relatif sur des flux migratoires et des activités clandestines qu’ils ne peuvent cependant complètement arrêter.

L’économie informelle complexe qui se développe autour du passage des migrants est découverte progressivement. En démarrant le jeu, le protagoniste se trouve face à une carte géographique inconnue masquée d’un brouillard ; ce n’est qu’au fur et à mesure de ses explorations et de ses déplacements qu’il va progressivement lever cette brume. La découverte de ces espaces sera largement tributaire des relations qu’il nouera avec d’autres joueurs ou personnages non joueurs : dans ce monde jonché d’obstacles, la mobilité, la capacité de survivre ou de contrôler est tributaire des réseaux de relations et des rapports de pouvoirs que l’on réussit à construire et à entretenir au quotidien. Pour faciliter la navigation du joueur dans ses réseaux de relations, une carte réticulaire s’affichera dans une seconde fenêtre au fur et à mesure de ses rencontres et de ses interactions.

 

Un jeu vidéo à la croisée de la recherche et de l’art

 

Dans un esprit similaire aux serious games, A Crossing Industry cherche à sensibiliser le public à un phénomène d’actualité. Situé sur une carte imaginaire, cette fiction met en scène une économie informelle régulant la circulation des migrants clandestins à travers les frontières terrestres séparant pays pauvres et pays riches. L’élaboration du scénario a été effectuée à partir des recherches que Cédric Parizot, anthropologue, a menées sur le terrain, en suivant les ouvriers palestiniens travaillant en clandestinement en Israël ou en réalisant des  observations ponctuelles sur d’autres frontières.  D’autres travaux de chercheurs ont également été pris en compte, portant entre autres sur la frontière américano-mexicaine, sur celle séparant l’Espagne et le Maroc, autour des enclaves de Ceuta et de Mellila, ou celle entre la Grèce et la Turquie.

L’économie informelle qui se développe autour des passages clandestins des migrants est trop souvent envisagée à travers des grilles de lectures idéologiques et binaires (État/clandestins, formel/informel, légaux/illégaux, victimes/bourreaux, résistants/dominants, etc). La réalité ne peut pourtant se réduire à de telles approches : l’escalade sécuritaire aux frontières des pays les plus favorisés depuis les 20 dernières années a stimulé le développement d’activités économiques clandestines tournées vers l’évitement des systèmes de surveillance et des réglementations ; le renforcement du contrôle a poussé les populations vivant aux frontières et celles qui les traversent à réajuster leurs parcours et leurs modes de passage. Faute de moyens, ces populations ont souvent été contraintes de se tourner vers des individus ou des groupes spécialisés dans le contournement des obstacles physiques (murs, barrières, etc.), des systèmes de surveillances (radars, drones, systèmes biométriques) et des réglementations juridiques (visas, systèmes de permis de déplacement, contrats de travail, etc.). Le durcissement des contrôles aux frontières a donc ouvert de nombreuses opportunités pour des passeurs, des contrebandiers, des fabricants de faux papiers, mais aussi pour des agences spécialisées dans le recrutement d’employés étrangers. Ainsi, en tirant profit de cette demande et des failles de ces systèmes, ces acteurs contribuent à faire émerger une économie sociale complexe, voire une véritable industrie du passage frontalier. Faute de pouvoir mettre fin à cette économie clandestine, les autorités des pays concernés instrumentalisent fréquemment ces passeurs et ces contrebandiers pour mieux contrôler leurs activités. Ce faisant, elles réajustent et complexifient à leur tour leur propre système de contrôle.

A Crossing Industry explore également de nouvelles formes d’interactions entre la recherche et la création artistique. L’élaboration du jeu au cours de l’année 2012-2013, a impliqué des étudiants de l’École Supérieure d’art d’Aix-en-Provence, Matthieu Gonella, Martin Greffe, Emilie Gervais, Tristan Fraipont, qui ont travaillé sous la direction de Douglas Edric Stanley, artiste et enseignant. Ils ont engagé les recherches et les réflexions de Cédric Parizot dans une démarche résolument artistique avec des enjeux esthétiques et narratifs propres. La forme du jeu a évolué tout au long des rencontres entre ses concepteurs, permettant de faire dialoguer la complexité des contextes frontaliers actuels  avec les formes historiques du jeu vidéo, y compris dans ses expérimentations les plus marginales issues de la branche « artistique » du médium, sinon de sa scène « indépendante » émergente. Dans la phase technique de l’élaboration, le scénario des interactions a dû s’adapter à la réalité d’une machine algorithmique ; cette phase d’ « algorithmisation » a nécessité une formalisation des interactions sociales afin de rendre jouables les situations frontalières. De cette formalisation émerge le jeu à proprement parler, qui prend la forme d’une simulation. La machine représente des situations de frontière et adapte le rendu visuel aux actions des joueurs.

Ce jeu propose ainsi donner accès aux résultats d’une recherche à travers une forme spécifique de fiction interactive.

 

Concepteurs

- Etudiants de l’Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence

Tristan Fraipont 

Emilie Gervais

Matthieu Gonella

Martin Greffe

Bastien Hude

-  Sous la direction de

Douglas Edric Stanley – artiste et enseignant (Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence)

Cédric Parizot–anthropologue, chargé de recherche au CNRS (Institut de Recherche et d’Etudes sur le Monde Arabe et Musulman (AMU, Aix en Provence) ; Institut Méditerranéen de Recherches Avancées (AMU, Marseille)

- Affiche/Iconographie

Matthieu Gonella

 

 

 

 

 

 


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